
Nous sommes maintenant très familiers avec l’histoire de Henry Murger, à qui nous devons la renommée artistique de notre commune. Nous connaissons également le mode de vie bohème qu’il avait adopté à Paris, avant de le propager à Marlotte. Nous savons enfin que durant ses années parisiennes il a croisé de nombreux artistes. Parmi eux et pendant les années 1840, Murger côtoya Gustave Courbet, dont le logement n’était qu’à quelques centaines de mètres du sien. De plus les deux artistes se retrouvaient avec d’autres à la brasserie Andler-Keller, au 28 rue Hautefeuille, dans le 6e arrondissement, où ils échafaudaient de grandes théories artistiques et sociales.
Moins connue est la visite de Courbet à Marlotte en 1861. La raison de cette visite du peintre, dont la notoriété était alors déjà établie, est documentée dans le petit article touchant ci-dessous.
Les violettes de Marlotte
Par un après-midi du printemps de 1861, un promeneur, passant par Marlotte, voulut revoir la maisonnette où Henry Murger, mort à Paris quelques mois auparavant, avait vécu les dernières années de sa bien courte existence. Les larmes aux yeux, il pénétra dans le jardin à l’abandon où fleurissaient mélancoliquement les lilas, plantés par Anaïs, la dernière musette du poète. Sans aucun espoir de voir s’ouvrir la porte d’entrée, le visiteur laissa retomber machinalement le heurtoir déjà rougi par la rouille.
Ce fut la voix d’une petite paysanne d’une quinzaine d’années qui, du chemin, lui répondit : « Monsieur, il n’y a personne ici. On n’a plus revu de locataire depuis la mort de M. Murger. Est-ce que vous le connaissiez ? » et, lui montrant un panier rempli de fleurettes, cueillies dans la forêt de Fontainebleau : « Achetez-moi mes violettes et je dirai une prière pour lui. – Tiens, mon enfant, voilà dix francs. Donne-moi ton panier et tes violettes, je les emporte à Paris. »
Le lendemain, le promeneur de Marlotte demandait à un gardien du cimetière Montmartre de lui indiquer la tombe de Murger : « Prenez à gauche, ne perdez pas de vue le monument de Cavaignac et, au troisième alignement, vous chercherez le numéro 46, c’est là. »
L’inconnu s’arrêta devant la tombe du chantre de la pauvreté joyeuse et du talent méconnu ; il déposa sur la pierre les violettes de la petite paysanne et sembla rêver un long moment. En sortant, il remit sa carte au gardien et lui glissa quelques mots de recommandation. Celui-ci le salua si respectueusement que cinq ou six fossoyeurs, qui travaillaient non loin de là, se découvrirent eux aussi sur le passage du visiteur.
Cet homme était Gustave Courbet.
Cette émouvante et délicate historiette est contée dans une petite revue de l’époque par le poète et chroniqueur, Armand Lebailly, qui devait lui-même mourir de phtisie et de misère en 1864, à l’âge de vingt-six ans. Prophétiquement, il la terminait ainsi : « Gustave Courbet offrait des fleurs à Murger, lui qui bientôt comblera son pays de lauriers. »
Cette anecdote a été publiée dans le n°61 du bulletin des Amis de Gustave Courbet, 1979.