C’est une histoire tellement incroyable qu’on pourrait la croire sortie de l’imagination du peintre. La rencontre d’Auguste Renoir, un peintre que la politique n’intéresse pas du tout et de Raoul Rigault, un journaliste révolutionnaire devenu un des chefs de la Commune.
1870 : une rencontre fortuite en forêt de Fontainebleau
Début août 1870, en forêt de Fontainebleau. La guerre venait d’être déclenchée. Renoir est tranquillement installé, près de Marlotte. Son chevalet déployé, il travaille sur le motif. Les rayons du soleil percent à peine à travers les hautes futaies lorsque, soudain, un individu surgit hors des buissons…Silencieux, il observait secrètement le jeune peintre depuis plusieurs minutes.
Il se présente à Renoir comme « rédacteur à La Marseillaise » et explique qu’il est traqué par la police impériale. Révolutionnaire dans l’âme, Rigault venait d’être libéré de la prison Mazas* où il était détenu depuis le 7 février. Renoir, aussitôt, lui propose de se fondre dans la population des peintres et rapins de Marlotte et le loge dans l’auberge Antony pendant quelques temps, histoire de le faire oublier par les autorités : il « partit un beau jour, et je ne l’ai plus revu. »
Né en 1846 à Paris, Rigault a fait de bonnes études classiques avant de collaborer à différentes feuilles contestataires comme Le Démocrite ou Candide, ce qui lui valut plusieurs condamnations. Depuis 1866, celui qui était réputé comme « l’homme le plus connu du quartier Latin », collectionnait avec fierté les arrestations et les emprisonnements. C’est une nouvelle condamnation le 13 juillet 1870, durcie par deux années d’emprisonnement et 2000 fr. d’amende, qui le pousse sans doute à prendre la clé des champs.
*Maison d’arrêt cellulaire située à côté de la gare de Lyon, démolie en 1898.
1871 : comment Raoul Rigault assura la protection du peintre Renoir…
Peu après cette rencontre en forêt, Renoir est enrôlé et rejoint son régiment dans la région de Bordeaux où il tombe malade et est hospitalisé. La guerre terminée, il est de retour à Paris dans son atelier de la rue Visconti. Mais l’insurrection de la Commune le surprend et il doit rapidement le quitter « avec tous les obus qui pleuvaient dans le quartier ». Il s’installe rive gauche, inquiet toutefois de ne pas pouvoir exercer son métier librement. Un jour, alors qu’il faisait une étude aux Tuileries, un officier de la Commune lui suggère de filer rapidement car ses hommes sont persuadés qu’il espionne pour les Versaillais ! Sans le sou, il se déplace dans la capitale à ses risques et périls.
Par une chance inouïe, en se promenant un soir près de l’Odéon, il reconnaît dans une vitrine le portrait gravé du fuyard qu’il avait aidé un an auparavant : Raoul Rigault est désormais délégué civil à l’ex-préfecture de police, véritable chef de la Sûreté générale – il deviendra, quelques jours plus tard, procureur général de la Commune avant d’être fusillé par les Versaillais le 24 mai. Edmond Maître, un ami parisien que Renoir fréquentait alors (un portrait de son épouse est daté d’avril 1871) lui conseille d’aller à la préfecture pour solliciter un « laisser-passer ». Il s’y rend aussitôt et parvient à se faire annoncer auprès du nouveau chef de la police parisienne. Le citoyen Rigault, informé de la présence de son sauveur, apparaît alors très ému et fait jouer la Marseillaise en l’honneur du citoyen Renoir. Il lui remet le précieux sésame qui précise que les autorités « devaient aide et assistance au citoyen Renoir » ! Le peintre est libre de traverser Paris et peut sans risque rejoindre ses parents à Louveciennes.
Cette l’histoire d’une rencontre improbable entre un peintre apolitique et un journaliste révolutionnaire, vous pouvez la retrouver dans un petit roman de l’écrivain Bernard Chambaz, La peau du dos (Seuil, Points, 2023). Elle repose principalement sur les souvenirs de Renoir reçus et transmis par Ambroise Vollard et Paul Valéry.