Henri Harpignies à Marlotte : « le peintre des moutards »

Harpignies, le « Michel-Ange » des arbres fut aussi le « peintre des moutards » à l’époque où il fréquentait Marlotte, aux côtés d’Henry Murger.

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Portrait d'Harpignies par Carjat, vers 1866

Le peintre Henri Harpignies, qui a vécu près de cent ans, est considéré comme un des plus grands peintres de la nature. Né à Valenciennes en 1819, il est le peintre de Saint-Privé, village de l’Yonne où il s’est installé dès 1860 et où il meurt en 1916. Au gré de ses voyages et de ses rencontres, il s’intéresse à différents paysages comme ceux du pays du Bourbonnais. Il peint également de nombreux sites des environs de Plagny et de Nevers qu’il appréciait particulièrement. Mais il eut aussi une petite période marlottine, au tout début de sa carrière d’artiste, quand le hameau était habité par Henry Murger ! (ci-contre, portrait d’Harpignies par Carjat, vers 1866).

Un début de carrière tardif (1846-1853)

Alors que ses parents le destinaient à travailler dans l’entreprise familale, cet artiste complet, passionné de peinture et de musique, sut faire comprendre à son père, après une dizaine d’années de bons et loyaux services, que sa voie était artistique ! Henri voulait être peintre. Grâce à sa détermination, il entre en 1846 dans l’atelier parisien du peintre Jean Achard (1807-1884). Sa vocation précoce ne fut donc que retardée et l’aisance familiale fut à l’inverse un soutien très favorable à ses projets d’avenir. En 1848, Harpignies part voyager en Italie et, de retour en France en 1850, il commence à peindre des paysages. Trois années plus tard, il est reçu au Salon pour la première fois, avec le Chemin creux et une Vue de Capri. L’année suivante, à l’instar de nombreux peintres paysagistes, il découvrait la forêt de Fontainebleau, sur les traces de Corot qu’il a rencontré vers 1851 et qu’il admirait. 

Les Trembleaux, Marlotte, aquarelle, 1856
Les Trembleaux, Marlotte, aquarelle, 1856 (Vente 2020 – P.Karbstein, Düsseldorf)

La découverte de la forêt de Fontainebleau (1854)

Dans Mes Relations d’artistes (1898), Amédée Besnus dédie le chapitre qu’il consacre à Murger (à Marlotte) à Henri Harpignies, qu’il décrit alors « coiffé d’un grand bonnet rouge à gland bleu, ce qui lui donnait l’apparence d’un sectaire de Mahomet ». Entre 1854 et 1856, Harpignies fréquente régulièrement le hameau où il se rend pour des séjours d’exploration en forêt de Fontainebleau, parfois en compagnie du héraut de la Bohème, Henry Murger, dont il avait fait connaissance à Paris. À Marlotte, il s’est installé dans une petite maison couverte de chaume, au fond d’une cour, à quelques pas de l’auberge Antony. Il dessine et peint de nombreux paysages de la forêt avec une prédilection pour le site des Trembleaux.

Le « peintre des moutards » (1853-1859)

L’école buissonnière, 1855 (Galerie Jungi, Zurich-Archives)

Les débuts d’Harpignies à Marlotte coïncident avec une période particulière de son œuvre picturale, moins connue et finalement assez courte. Vers 1853, Harpignies est pris d’une ambition imprévue. Il est possédé par la tarentule de la figure, de la figure dans le paysage toutefois*. Il semble avoir démarré ce cycle avec une toile représentant une bande d’enfants sortant de l’école, alignés devant un mur qu’ils arrosaient copieusement : Les petits ruisseaux font les grandes rivières. Pour F.Henriet, dans le Paysagiste aux champs, l’origine de la passion d’Harpignies pour les moutards viendrait d’une rencontre près de Nevers, à Plagny, avec de petits spectateurs incommodes… Quoi qu’il en soit, pendant près de six années, il expose des toiles où des gamins jouent les premiers rôles comme dans L’école buissonnière, présentée au Salon de 1855. Pour son ami Amédée Besnus, Harpignies n’est alors que le peintre des moutards.  En 1857, nous retrouvons ces enfants buissonniers dans un nouveau tableau (Musée de Valenciennes), Un sauve qui peut, fuyant le garde-champêtre, vraisemblablement situé près du village de Famars (59).

* L.Bénédite, Gazette des Beaux-Arts, 1917.

Un sauve qui peut, huile, 1857 (Musée de Valenciennes)

Ce goût de la représentation des enfants dans le paysage perdurera jusqu’à la fin de sa vie, même si Harpignies privilégiera désormais des paysages largement arborés et beaucoup moins animés de personnages. Dès les années 1870, il est revenu au « paysage pur et simple » et nous le connaissons aujourd’hui comme le « Michel-Ange des arbres », surnom que le romancier Anatole France lui a décerné vers 1892. Harpignies exposera au Salon parisien jusqu’en 1912 et y glanera de nombreuses médailles avant d’obtenir la Légion d’honneur dont il sera grand officier en 1911.